Ce jeudi 8 février 2024, s’est tenue une rencontre de haut niveau des responsables du football et de la presse sportive sur l’élimination de la violence sexiste dans le football en Afrique, à Abidjan. Une rencontre qui s’est terminée par une conférence de presse animée par des footballeuses Ivoiriennes qui ont dépeints les conditions dans lesquelles elles évoluent.
En marge de la Coupe d’Afrique des Nations Côte d’Ivoire 2023, l’ ONU FEMMES Côte d’Ivoire, l’ UNESCO et GreatField ont initié une campagne de plaidoyer pour l’élimination de la violence sexiste dans le football en Afrique. Cette campagne a été lancée ce jeudi 8 février à l’hôtel Palm Club de Cocody, en collaboration avec les ministères Ivoiriens de la Femme, de la Famille et de l’enfant, du Sports et du cadre de vie, de la Promotion de la Jeunesse, ainsi que de l’emploi et de la Protection Sociale. Après les travaux de réflexion sur « comment créer les conditions favorables à l’élimination de la violence sexiste dans le football en Afrique », effectués toute la journée, la rencontre s’est terminée par une conférence de presse animée essentiellement par les premières concernées de cette campagne, les footballeuses évoluant dans le championnat Ivoirien.
Djakpa Stéphanie (Atletico FC), Kouadio Adjoua Jocelyne (gardienne de but de la Juventus de Yopougon), Cynthia Djohoré (Gardienne de l’équipe nationale senior), Yapi Carine (handisport) et d’autres de leurs consœurs ont fait face à la presse pour exposer les difficultés auxquelles elles sont confrontées dans le milieu. Au courage, ces filles qui essaient de s’en sortir dans ce monde du football féminin Ivoirien où l’omerta est pratiquée ont brisé le silence.
Précisons d’entrée que le football féminin Ivoirien est qualifié de football amateur, comme l’a fait remarquer Djakpa Stéphanie, au tout début de son intervention. Ce qui explique que les clubs n’ont pas de contrats professionnels qui les lient aux footballeuses, « Il y’a pas de contrats entre les joueuses et les clubs dans la majorité des cas, même s’il y a quelques exceptions. Nous ne sommes pas accompagnées par des agents quand nous devons nous engager avec les clubs. Nous signons des fiches d’engagement. », a déclaré la joueuse de l’Atletico FC. L’exception vient justement du champion en titre de Côte d’Ivoire qui fait signer des contrats à ses joueuses, comme l’a avoué Stéphanie, prenant son cas personnel. Mais cet effort reste visiblement insuffisant, car les filles estiment qu’elles doivent gagner plus non seulement pour tout le travail abattu mais également besoin de se prendre en charge et apporter une sécurité financière à leurs familles comme c’est le cas chez les hommes. « Dans la quasi-totalité des cas, les filles ne sont pas assistées en cas de blessures ou de maladie. Les joueuses se sont très souvent fait avoir avec des contrats signés qu’elles ne comprennent pas forcément parce que soit, les termes sont difficiles à cerner, soit elle ne savent pas lire. », a ajouté la joueuse.
Des contrats qui se concluent très souvent par des licenciements « un peu abusif » pour faute de « rendements insuffisants». Prises entre l’ignorance des codes d’un métier qu’elles ont accepté de pratiquer et par la passion de celui-ci, les filles sont le plus souvent obligés d’ abdiquer. Le témoignage d’ Adjoua Jocelyne Kouadio élucide les pratiques peu orthodoxes d’un milieu très difficile « Nous sommes confrontés à d’énormes difficultés. Personnellement, pour ma première saison, l’année dernière, le Sporting Club de Gagnoa m’a fait signer une fiche d’engagement pour une saison, puisqu’il n’y a pas de contrat. A la fin de la saison, j’ai été contactée par la Juventus de Yopougon. Alors que j’attendais ma lettre de libération de la part des dirigeants du Sporting Club de Gagnoa, la Directrice de la section football féminin refusait de me la délivrer, au prétexte que c’est elle qui m’aurait formée. Alors, si je devais m’engager avec un autre club, on devrait lui verser une prime de 100.000 F CFA. Pourtant toute la saison (D2) nous avions joués comme des esclaves, sans primes et sans salaires, malgré la 3e place obtenue à la fin. La situation m’étonnait, dans l’ignorance, je ne savais pas vers qui ou vers quoi me tourner, alors j’ai privilégié la voie de la négociation. Et comme elle connaissait mon ignorance vis à vis de la situation, elle était persuadée que j’allais négocier. Mon nouveau président aussi n’a rien pu faire. Une somme de 50.000 F CFA lui a donc été versée avant de me libérer au bout de la négociation ». Un témoignage que partage certainement la gardienne de but avec plusieurs de ses sœurs dans le milieu. Dans ce milieu amateur où règne la peur de voir sa carrière s’arrêter au prétexte qu’on parle beaucoup trop, les filles se sont donc longtemps tûes. L’occasion leur a été donnée de se vider et de poser les jalons de leur lutte.
Un tel témoignage enfonce les présidents de clubs. Mais, qui devrait interpeller ces présidents de clubs sur de tels agissements ? La faîtière bien sûr. Mais pour Cynthia Djohoré, tout le mal tire sa racine de la Fédération Ivoirienne de Football (FIF). Dans ses propos, l’internationale Ivoirienne a dédouané les présidents de clubs « Les présidents de clubs se saignent pour nous permettre de vivre notre passion, et ils ne sont pas soutenus par la fédération », mais que faire la fédération ? « J’ai mal quand je parle des difficultés du football féminin en Côte d’Ivoire. Nous pratiquons ce sport pour aider nos parents, mais la fédération organise mal les choses. Même les affiches du championnat portent l’image de filles qu’on a jamais vu sur un terrain », a déclaré la gardienne des Éléphantes. Sa colère est encore plus expressive quant elle évoque l’organisation du championnat et de la sélection nationale « Les matchs du championnat sont programmés à 10 heures, sous le soleil. Nous jouons pour du beurre dans ce pays. La subvention est à 10 millions pour chaque club (1 million par mois), ce n’est pas normal quand on sait qu’elle ne fait même pas la moitié de celle de la première division masculine. Nous avons deux pieds et deux bras comme les garçons. J’ai joué la finale de l’UFOA B, nous sommes toutes reparties avec 10.000 F CFA chacune comme prime. La même somme dérisoire que nous avions reçu en 2015 au retour du mondial. Pour une prime de transport après entraînement en sélection nous recevons 5.000 par joueuse. Ce n’est pas normal. Est-ce qu’ils donnent ça aux garçons. S’ils percevaient de telles primes, pouvaient-ils se donner autant qu’on le voit sur le terrain ? Nous jouons un championnat où à la fin le club champion ne reçoit pas de trophée. Le mauvais traitement salarial nous pousse à avoir une mauvaise hygiène de vie. Comment être donc performantes ? », a déclaré la gardienne de l’Atletico FC sur un ton assez fort, sous le regard impuissant de la présidente de l’Amicale des Femmes Arbitres de Football en Côte d’Ivoire (AFAF CI), madame Ahoua Aya Irène Épouse Yoboué qui a essayé d’appeler au calme et à la patience pour le développement du football féminin Ivoirien. « Il y a assez de talents en Côte d’Ivoire. Si la fédération organise bien le football féminin, nous ramerons des trophées au pays », a ajouté Cynthia.
Les plaies du football féminin en Côte d’Ivoire identifiées, il faut donc trouver des solutions afin de les éradiquer. Ces mauvaises conditions décriées, les mauvais traitements ajoutés à l’harcèlement sexuel et parfois aux abus sexuels auxquels font face les femmes et les filles dans le sport notamment dans le football doivent prendre fin. l’ ONU FEMMES a souhaité que cette rencontre débouche sur une déclaration appelée « La déclaration d’Abidjan » afin de lancer la grande offensive qui s’étendra sur tout le continent. Chose faite. En prenant la parole à la suite des footballeuses, la Directrice du Programme National de Lutte Contre les Violences Basées sur le Genre au Ministère de la Femme, de la Famille et de l’ Enfant, le Docteur Kouamé Honorée Ghislaine a déclaré ceci « C’est le premier départ d’un processus qui se met en place, et il laisse entrevoir de nombreuses perspectives, car au vu des réflexions menées il y a de la matière. Des actions seront menées. Tous les clubs seront visités pour nous rendre compte de la réalité des athlètes. Cet état des lieux nous permettra de prendre les décisions appropriées, et avec l’aide des partenaires au développement les initiatives seront prises pour améliorer les choses ». Elle a promis aux footballeuses de ne pas s’inquiéter. Elles auront une assistance conseil, une prise en charge matérielle et juridique dans ce combat qui mérite d’être mené.
DISCOURS DU REPRESENTANT DE L’ UNESCO
Rencontre de haut niveau des responsables du football et de la presse sportive sur l’élimination de
Il faut donc « faire accepter la violence sexiste dans le sport », a fait remarquer Madame Marie Pascaline Menomo, consultante, experte en Genre et Développement, avant de déclarer « Nous voulons travailler avec les fédérations nationales, former des gens qui s’occuperont de ces situations dans les fédérations. C’est le début d’une longue action. Nous voulons créer des conditions adéquates pour permettre aux filles de pratiquer normalement le sport, être payé convenablement et être respecté ».
Espérons que cette action porte ses fruits.